≋ conor's blog ≋

Lettre à Maple Street (FR/EN)

May 16, 2021

Watch: Lettre à Maple Street (2021)

(English version below)

Lettre à Maple Street

Cher ami,

J’ai l’impression que ça fait à peine quelques jours que je t’ai vu, mais je sais qu’en réalité ça fait beaucoup plus longtemps que ça. J’écris en écoutant la pluie et le vacarme de ma rue qui est grise et quelconque. Aussi brusquement que je suis parti, je me suis retrouvé ici, à l’extrémité bétonnée du continent. Tout change ici, tout le temps... même moi, on dirait. Anyway, ça va.

Mais toi, j’espère que tu vas bien à la campagne. Qu’est-ce que tu fais ces jours-ci? Moi, je feel assez nostalgique dernièrement, mais je rêvasse tout le temps depuis que je suis arrivé ici. Et penser à quel point on a rêvé de l’avenir, et je suis nostalgique du passé… Toutes les conversations à propos de la vie qui nous attendait…

D’ailleurs - d’ailleurs, à propos des rêves, l’autre soir j’ai rêvé à propos de… ben, à propos de toi, en fait.

Normalement je ne me souviens jamais de mes rêves, tsé, mais cette fois-là tout était clair. C’était juste toi et moi, à l'endroit où tout a commencé, suspendu dans un vide. Je voyais tout, comme si c’était hier; les fleurs aux couleurs pastel, pastorales sous un ciel parfait. C’était l’été, une fin de semaine en juin. Je me souviens de ce jour, on avait passé tout l’après-midi à flâner. En flottant le long du chemin j’ai aperçu les collines et les vallées de la campagne, de notre amitié. Des carillons éoliens des maisons somnolentes à la distance brisaient le silence comme si je n’étais jamais parti. On s’est arrêté dans une clairière. J’ai senti le soleil sur ma peau, et toi là, maintenant allongé en dessous et nageant dans le vert du champ. Tout était simple, et je me suis demandé comment la vie pourrait être autrement. Tu m’as regardé, avec ton visage placide, et j’ai fait de même - on était tous les deux perdus dans la quiétude de l’après-midi.

Mais soudainement - Tu sais quand tu es en train de rêver et tout d’un coup tu t’en rends compte? Avant que ça arrive tout va bien, mais après, tu es conscient du flou autour de toi, de l’absurdité. Soudainement je me suis rendu compte que je n’appartenais plus a ce monde. Le ciel est devenu morne et étrange, la quiétude est devenue menaçante - je vivais dans un rêve, et j’étais dedans depuis des années. Quelque chose a changé, et cela a changé pour de bon.

Puis le temps passait. Je me suis retrouvé perdu dans les jours, puis les jours sont devenus des mois. Je ne suis plus arrivé à me reconnaitre. Chaque matin était comme une sentence au soir; chaque souffle m’a paru comme mon dernier; tout de ma vie semblait appartenir à une vie déjà vécue. Le temps passait et tu es resté le même alors que les années m’ont fait faner; j’ai vieilli sans pour autant atteindre la même grâce que toi, sans la promesse du printemps et de nouveaux bourgeons. Le temps passait. Je n’ai rien dit. Le temps passait et les coutures se sont mises à céder, l’une après l’autre. Le temps passait, et tout a commencé à s’effondrer en moi -

et tout d’un coup, j’étais là, la dernière fois qu’on s’est vu. On était assis silencieux et regardant le crépuscule se déverser entre les arbres pour s’égoutter sur les bâtiments immobiles dans le monde immobile - comme il l’a fait pendant toutes ces années, mais avec un nouveau goût étrange de départ. On s’est regardé pour la dernière fois dans une tristesse confuse avec cette mélancolie d’un nouveau commencement, pour l’un mais pas pour l’autre, suspendue dans l’air. Quelque part entre la honte et le soulagement, je t’ai dit au revoir. Et voilà, c’était la fin du rêve.

Si je suis honnête, ces jours-ci je me demande pourquoi je suis parti. C’est différent ici - c’est différent sans toi. De tous les souvenirs qui me restent, ils me paraissent moins comme mon passé à moi et plus comme une histoire que j’ai lu. Un rêve dans la tête de quelqu’un d’autre. Mais, à travers la distance et le temps, je sais que tu es là à l’autre bord, aussi vivant et réel que tu l’étais. Et je sais qu’à une époque, j’étais là aussi, et peut-être j’y serai encore.

En tout cas,

Letter To Maple Street

Dear friend,

It feel like it's only been a few days since I've seen you, but I know it's been a lot longer than that. I am writing this to the sound of the rain and the din of my gray and plain street. Just as abruptly as I left, I found myself here at the concrete end of the continent. Everything changes here, all the time... even me, it seems. Anyway, I’m alright.

As for yourself, I hope you’re doing well in the countryside. What are you up to these days? Personally, I've been feeling pretty nostalgic lately, but really I've been daydreaming ever since I got here. To think about how much we dreamed of the future, and here I am nostalgic for the past... all those conversations about the life awaiting us...

Actually - Actually, speaking of dreams, the other night I dreamed about... you, actually.

Normally I never remember my dreams, you know, but this time everything was clear. It was just you and I, in the place where it all started, hanging in a void. I saw everything, like it was yesterday; the flowers in pastel, pastoral under a perfect sky. It was summer, a weekend in June. I remember that day, we spent the whole afternoon just wandering. Floating along the path, I could see the hills and valleys of the countryside, of our friendship. Distant wind chimes from sleepy houses broke the silence as if I had never left. We stopped in a clearing. I could feel the sun on my skin, and you, now lying below and swimming in the green of the field. Everything was simple, and I wondered how life could be otherwise. You looked at me with a placid face, and I did the same. We were both lost in the quiet of the afternoon.

But suddenly - You know when you're dreaming and all of a sudden you realize you are? Until then, everything is fine, but afterwards you’re aware of the haziness around you, the absurdity. Suddenly I realized that I no longer belonged to this world. The sky became dreary and strange, the stillness became threatening - I was living in a dream, and I had been in it for years. Something had changed, and it had changed for good.

So time passed. I found myself lost in the days, and then the days turned into months. I couldn’t recognize myself anymore. Each morning was like a sentence to night, every breath felt like my last; everything about my life seemed to belong to a life already lived. Time went on and you stayed the same as the years wilted me. I grew old without the same grace as you, without the promise of spring and new life. Time passed. I said nothing. Time passed and the seams began to break, one after the other. Time passed, and everything started to collapse in me -

And all of a sudden I was there, the last time we saw each other. We were sitting silently, watching the dusk pour between the trees to drip down the still buildings in the still world, just as it has for all these years, but with a strange new taste of departure. We looked at each other for the last time in a confused sadness with the melancholy of a new beginning, for one but not the other, suspended in the air. Somewhere between shame and relief, I said goodbye to you. And that’s it, the dream was over.

If I'm being honest, these days I wonder why I even left. It's different here... it's different without you. Of all the memories that remain, they feel less like they belong to my own past and more like a story I read. Someone else’s dream. But across the distance, and the time, I know you’re there on the other side, as alive and real as you were. And I know there was a time when I was there too, and maybe someday I will be again.

In any case,